Dans cet entretien, nous vous présentons les personnes qui nous inspirent le plus : des personnes créatives, des éducateurs, des militants, des leaders communautaires et les superhumains de tous les jours qui nous tiennent en haleine. Nous vous emmènerons dans leur vie de tous les jours, dans leur maison et dans leur espace de travail. Nous parlerons de motivation et d’inspiration et, bien sûr, de tout ce qui touche au style.
Jezz Chung, notre muse du mois de décembre, touche à bien des domaines : la poésie, la philosophie, la danse, le mannequinat, l’art oratoire, l’écriture, mais avant toute chose, c’est une personne battante. Après voir obtenu son diplôme collégial, Jezz a déménagé à Los Angeles, et c’est là que les paroles d’un activiste ont résonné en iel : « Nous ne sommes pas libres tant que nous ne sommes pas tous libres. » Cela a changé sa vie, et depuis ce temps, Jezz s’est engagé à créer un monde plus équitable. Résidant maintenant à New York, Jezz a pris le temps de nous rencontrer, et la queer, neurodivergente et artiste créative coréano-américaine a discuté, entre autres, de sa vie d’enfant expressif, grandissant dans un milieu répressif, ce que cela signifie que de réussir à s’intérioriser, les histoires que les vêtements racontent et celles que l’on révèle avec nos vêtements. Lisez l’entrevue ci-dessous pour en savoir plus sur Jezz, dans ses propres mots.
Comment vous décririez-vous? On dirait que vous faites tout en même temps.
Cela dépend des jours. Certains jours, je sens que je pourrais accomplir de très grandes choses, et je me dis que je suis une architecte du monde. J’aime construire, créer. J’aime façonner mon propre monde en consignant mes expériences et en les examinant sous différents angles. Puis, j’essaie de contribuer à bâtir un monde plus équitable. Alors je dirais que je travaille aux croisements de l’équité, de la créativité et du bien-être. Je pense que lorsqu’on prend soin de soi, qu’on s’occupe activement de notre bien-être et qu’on entame une transformation personnelle, alors cette transformation se transpose en changement collectif.
Où habitez-vous?
À Brooklyn. Cela fera quatre ans en janvier prochain. Cela m’a pris trois ans à m’adapter. Il m’a fallu trois ans pour trouver une communauté solide de personnes, et cela fait toute une différence. Les deux premières années ont été particulièrement difficiles pour moi. La ville n’est pas un endroit paisible du tout. Et cela n’a fait que faire remonter mes problèmes de santé mentale à la surface.
Je souffrais de dépression chronique depuis mon enfance. Alors ici, j’ai sombré dans le pire épisode dépressif de ma vie. Mais cela m’a amené sur la voie de la thérapie et de la méditation, et bien d’autres exercices de guérison. Mon déménagement ici m’a obligée à me retrouver, à m’intérioriser d’une certaine façon. Mais c’était difficile. Je partais de LA lorsque je suis arrivée ici, et je ne voulais pas rester. Mais je savais que je devais me remettre en question. Ici, j’ai dû traverser des eaux troubles, ce qui m’a permis de renforcer ma créativité. Et je pense que j’ai réussi.
De quelle région êtes-vous?
J’ai grandi en périphérie d’Atlanta. Et je suis allée à l’école secondaire à Houston et au collège de l’Université du Texas à Austin.
I KNEW I WAS DIFFERENT IN SOME WAY, BUT I DIDN'T KNOW HOW TO ARTICULATE IT. SO I DID IT THROUGH MY CLOTHING.
Enfant, étiez-vous créatif?
J’étais une enfant très expressive et réprimée. J’ai grandi dans un contexte très religieux, alors j’étais réprimée et surprotégée. Je n’avais pas accès à moi-même à bien des égards. Mais j’étais toujours très expressive émotionnellement et par mon style unique. J’étais attiré par toutes sortes de couleurs et j’aimais agencer différentes tenues. Ma mère a été monoparentale pendant un certain temps, alors on faisait beaucoup de magasinage de vêtements de seconde main et nous allions souvent dans les friperies.
J’ai toujours voulu être unique dans la façon de me présenter. Et j’étais l’une des rares Asiatiques dans les écoles que j’ai fréquentées pendant mon enfance et mon adolescence. En rétrospective, je savais que j’étais différente d’une certaine façon, mais je ne savais pas comme l’exprimer. Alors je m’exprimais à travers mes vêtements. J’ai décidé que puisque j’étais déjà différente, j’allais choisir la façon d’exprimer ces différences.
Quand avez-vous eu l’impression que vous avez pu vous intérioriser? Ou est-ce un cheminement continu?
J’ai commencé à avoir des amis asiatiques pour la première fois à l’école secondaire. Et je n’étais pas encore vraiment en contact avec mon identité asiatique, mais j’avais des amis avec lesquels je pouvais vivre des expériences culturelles. Et bien qu’on ne parlait jamais de personnes queer quand j’étais à l'école secondaire au Texas, mes amis m’ont donné une idée de ce à quoi pouvait ressembler la communauté. Puis, j’ai obtenu mon diplôme et j’ai déménagé à LA au cours de l’année où le mouvement Black Lives Matter a été lancé. Je participais à des réunions BLM et j’étais dévouée à cette cause, et j’ai réalisé que j’avais un devoir et une responsabilité de contribuer au changement, en tant que personne qui vit à cette époque. Ce qui m’a incité à étudier l’histoire asio-américaine et les activistes asio-américains qui ont lutté pour les mouvements de libération des Noirs. J’ai pu accéder à ma langue et à mon histoire.
Que voulez-vous dire lorsque vous dites que vous avez un devoir?
Je pense que c’est lié au fait que je suis autiste. Je saisis des choses que d’autres personnes ne saisissent pas, et je ne m’intéresse pas à des choses qui intéressent d’autres personnes. Alors je suis très consciente des enjeux de climat social et de nos blessures collectives. Je demande toujours ce qui nous fait souffrir et pourquoi nous souffrons? Et que pouvons-nous faire pour changer les systèmes qui causent cette souffrance? Et j’estime que nous en sommes tous responsables.
« Nous ne sommes pas libres tant que nous ne sommes pas tous libres. » C’est ce qu’ont affirmé de nombreux activistes et organisateurs dans le passé, et ces paroles résonnent en moi. J’ai pensé « Si c’est vrai, alors que puis-je faire pour bâtir ma carrière et créer un mode de vie qui reflètent cette liberté et cette libération? Comment puis-je dédier mon existence à ce mouvement?
WE'RE NOT FREE UNTIL WE'RE ALL FREE. THATS WHAT A LOT OF ACTIVISTS AND ORGANIZERS HAVE SAID IN THE PAST, AND I REALLY TOOK THOSE WORDS TO HEART.
De quelle façon cela se traduit-il dans votre travail et votre quotidien?
Cela influence définitivement le choix des personnes avec qui je collabore. Les personnes avec qui je travaille, comme les photographes et les différents artistes de mes communautés. Cela a une incidence sur les entreprises que j’appuie, sur ce que je consomme et sur qui je choisis de suivre en ligne. Je me demande toujours : « Cela contribue-t-il à l’équité? »
Alors, comment décririez-vous votre sens du style? Vous dites que vous êtes expressive.
Mon style reflète très bien mon humeur. Mon humeur reflète mon style, et mon style reflète mon humeur. C’est un cycle — je n’ai pas un style en particulier. Mais je suis attirée par les imprimés, les formes et les textures qui traduisent la diaspora asiatique. C’est une façon de me connecter à mon héritage et de me réapproprier une partie de moi-même à laquelle je n’avais pas accès étant plus jeune. Parfois j’estime que je porte des vêtements pour mon enfant intérieur et mon futur moi.
Vous arrive-t-il d’avoir des doutes quant à votre choix de tenue vestimentaire? Y a-t-il des vêtements dont vous ne pourriez vous départir?
Je suis assez brave quand vient le temps d’essayer de nouveaux styles, mais j’y vais de façon très intuitive. Et je pense que cela remonte alors que j’étais jeune et que je choisissais mes vêtements, mais je sais rapidement si j’aime un vêtement ou non. Je vais le savoir immédiatement : Est-ce que je veux porter ce vêtement aujourd’hui? Est-ce que cela me ressemble?
I FEEL LIKE CLOTHING IS SUCH A REFLECTION OF MY SOUL, AND IT'S ALSO LANGUAGE TO ME - EMOTIONAL LANGUAGE, VISUAL LANGUAGE, TEXTURAL LANGUAGE.
J’utilise les vêtements comme façon de m’exprimer. Lorsque je regarde des photos et que je constate comment mon style a évolué, je vois dans quel état d’esprit j’étais à ce moment-là.
On n’a jamais demandé : Pourquoi magasiner des vêtements vintage aujourd’hui?
Les histoires. Les vêtements transportent tellement d’histoires, particulièrement s’ils ont déjà été portés. Je pense à tous les endroits que cette personne a visités, à toutes les expériences qu’elle a vécues dans ces vêtements. Et j’adore l’idée de porter sur moi l’histoire de cette personne, alors que je façonne de nouveaux souvenirs en les portant.
J’adore aussi le fait que l’on peut afficher un côté encore plus unique en portant des vêtements vintage. Vous avez plus de liberté pour vous exprimer, car si vous portez un élément vintage, il est fort probable que peu de gens dans le monde possèdent encore cet article. Cela me laisse donc plus de liberté pour m’exprimer de manière différente et viscérale. Et c’est écologiquement durable aussi!
Crédit photo : Mary Kang